• Sortie du 1er juin : Paysages

Voici un retour tardif sur la sortie du 1er juin, la faute aux tâches post-professionnelles que j’avais laissées de côté et qui sont devenues plus qu’urgentes. En termes clairs, je suis complètement à la bourre (au point que j’ai renoncé à l’alléchante sortie VVV de ce jour, qui promettait de plancher sur les Belles Filles).

Le privilège de la sortie à vélo, c’est qu’on entre dans les paysages. Au lieu de les voir à distance on est « assis dedans », comme le dit fort bien Paul Fournel (dans Besoin de vélo) : « Etre dans le paysage, dans sa chaleur, dans sa pluie, dans son vent, c’est le voir avec d’autres yeux, c’est l’imprégner en soi d’une façon instinctive et profonde. »

Ou comme le dit Didier Tronchet : « Tout corps placé sur un vélo voit son regard sur le monde déplacé ». J’arrête là les citations, vous pourriez vous lasser. Mais c’est bien ce que je retiens de la randonnée d’hier : de la lumière, de la douceur, du vert partout, une pédalée facile, un tempo raisonnable (encore que soutenu), tout favorisait cette expérience du vélo comme machine à s’imprégner des paysages.

La longue montée vers Brabois permet de prendre immédiatement de la hauteur, de prendre ses distances d’avec la ville. Une fois passée l’intersection du tram, on peut s’offrir, à main droite, le charme des courts lacets qui sont source, un instant, d’un premier dépaysement.

La forêt est bientôt là, après la traversée de Clairlieu (je me souviens qu’autrefois il n’y avait là que des prés), la route de Maron forme une sorte de couloir végétal, avec ses bas-côtés d’herbe fraichement coupés et son double rideau d’arbres, assez hauts pour dissimuler le désastre de l’antique forêt abattue par la tempête de décembre 99. La plongée sur le village prolonge cette impression en y ajoutant le frisson de la vitesse.

Mais pouvoir ensuite évoluer à distance du trafic routier a plus d’attraits encore : la piste cyclable longe la Moselle, l’ouverture sur le fleuve alterne avec un écran végétal, l’étroitesse de la voie renforce l’impression d’intimité, jusqu’à ce que les étangs, sur le côté opposé, offrent l’illusion d’un passage qui franchirait les eaux.

Les charmes du trajet, au-delà de Pierre-la-Treiche, sont d’une nature différente : on se déplace dans des espaces ouverts, à la respiration plus large, et qui réclament une accommodation du regard. Il y a plus à voir, alors que l’œil ne peut aisément se fixer. On ne peut tout embrasser, mais il suffit bien que tel ou tel détail se signale à l’attention du passant qui roule. Et puis, on sait pouvoir compter sur la sympathie des vaches, blanches ou rousses, qui adorent regarder passer les cyclistes plus encore que les trains. A l’occasion, on envie la placidité douce des moutons (ils étaient nombreux sur la route menant à Battigny). Le long faux plat qui menait à Favières avait, auparavant, réduit la perspective en nous rendant la proximité des bois et des ombrages.

Ce qui ajoute aussi aux plaisirs du trajet, ce sont les courbes et les modestes reliefs de la chaussée. Virer, monter, descendre, c’est le menu de choix du cycliste. Les longues portions plates peuvent être reposantes, mais on y risque l’ennui. Quant aux lignes droites interminables, on les redoute, elles sont une punition, et plus encore si elles ont le mauvais goût d’être pentues. Rien de tout cela ce dimanche, routes et paysages, sans être surprenants ni pittoresques, étaient assez variés pour que l’amateur de vélo se sente récompensé de ses modestes efforts.

Des efforts, certes il fallait en consentir un peu pour monter jusqu’à Thélod, ce dont une partie du peloton s’est dispensée. Dommage, comme me l’a suggéré Jean-Luc, pour une fois qu’on se faisait « intello »… Une bonne occasion ratée de prendre de la hauteur. Efforts, de même, pour se hisser sur le plateau de Brabois, ce que d’autres ont évité, s’offrant une balade-fraîcheur vers Méréville. Si bien que la fin de la randonnée a fait éclater la cohésion jusque là préservée, puisqu’on était même allés jusqu’à ne pas nous scinder en deux groupes lors de la pause d’Autreville (autre ville, autres mœurs). Rouler ensemble dans une deuxième partie de randonnée, c’est possible, bien qu’un peu compliqué. Au fait, nous étions 15 au rendez-vous, puis 19 du côté de Gye, le vingtième jouant son rôle habituel d’éclaireur mystérieux. J’ai fini par l’apercevoir, pendant dix secondes au moins. Jean-Yves, sur quelle planète roulais-tu ?

Il faut dire qu’avant comme après la pause, on continue de manquer de véritables régulateurs, capables de trouver et de garder le bon tempo. Je me suis fendu d’un conseil qui a bien fonctionné sur quelques secteurs : il suffit que ceux de devant pédalent en dedans dès que ça monte. Pas sorcier, tout de même ! Les quelques km/h de gagnés, c’est-à-dire de perdus pour ceux qui sont à coup sûr capables d’aller plus vite, ça permet à tous de garder le contact. Et, le cas échéant, de ne pas se retrouver la tête dans le vent. On pédale en dedans, et on jette un œil derrière, histoire de vérifier qu’on est dans le bon rythme.

Un petit groupe de régulateurs, qui se relaient régulièrement, voici ce qu’il nous faut. Et qui se relaient vraiment, le premier s’effaçant, sans que le suivant ait à produire un effort. Pas comme ceux qui, à nouveau, ne sont passés devant dimanche que pour le plaisir de ressentir et de montrer leur force. Relais, connais pas ! Moi moi costaud, admirez ! Franchement, on s’en fout. Faites vous plaisir de temps en temps, d’accord, c’est légitime, tout le monde en a envie au moins une fois lors d’une sortie. Mais quand l’heure est aux relais et au maintien du bon tempo, jouez le jeu, le jeu d’équipe, et signez par là votre appartenance au club, en conjuguant l’utile et l’agréable. Le plaisir n’est pas moins grand, il est  différent, et il a pour lui d’être partagé. Elémentaire, tout cela. N’est-ce pas Jean-Claude, qui ne se cache pas d’agir parfois comme un gamin ? Tu n’es pas le seul, c’est bien le problème. On peut en sourire, mais parfois c’est vraiment gonflant.

Bon, comme « le vélo rajeunit ceux qui le touchent » (René Fallet), on a tout le temps devant nous pour faire mieux. Quant aux paysages, c’est chaque semaine qu’on peut s’en imprégner. Leur accès est gratuit.

J’allais oublier : Gérard a non seulement rempli la tâche de vélo-balai, ce qui nous a permis de ne perdre personne, mais il a apporté un gilet de sécurité transformé en emblème de la fonction. C’est moi qui l’ai récupéré, ce qui, sauf réclamation, me désigne pour le porter dimanche prochain. Reste à trouver les régulateurs.

Bonne semaine,
Votre secrétaire.