Chers amis Randos,
Il fait très beau, vous vous êtes levés du bon pied, et vous vous êtes retrouvés nombreux au Parc des Expositions : en route pour Heillecourt, Fléville, la côte qui mène vers Ludres (déjà des lâchés, mais vous n’avez pas oublié de vous donner un vélo-balai, n’est-ce-pas ?)… Pierre, en tous cas, n’en fera pas office, puisque lui aussi est obligé de rouler par procuration en cette belle matinée de printemps précoce. Gare plus loin, à la grosse bosse d’Ormes-la-ville, à celle plus modeste d’Affracourt, à la grimpée d’Houdelmont également, avant la remontée sur Brabois. Mais la campagne est déjà si riante, colorée, enjôleuse, que votre plaisir culmine même quand la route est plate.
Donc, vous roulez et moi je raconte : cherchez l’erreur.
C’est qu’après trois semaines d’absence pour une excellente raison (mon voyage en Inde), me voici contraint d’en ajouter une quatrième, pour une raison beaucoup moins plaisante : une récidive de mon vieux mal de dos, qui me rend douloureuse la simple position assise, et plus encore quand elle se confond avec celle du cycliste qui tourne les jambes. J’ai fait une tentative jeudi, qui m’a permis de croiser Christian et Marcel, puis Jean-Marie et les « Pont fleuri » (moi, je me traînais, ils m’ont semblé rouler à vive allure), mais j’ai dû bien vite renoncer.
Pour le cas où vous auriez connaissance d’un excellent kiné, je précise : dans ces cas-là, je souffre d’un micro-déplacement au niveau des lombaires ; ça se remet soit de façon douce, parfois, soit de façon plus violente, par une manipulation des vertèbres. J’ai déjà eu droit à pas mal de variantes de ces méthodes, j’attends la formule-miracle. Merci de vos conseils éventuels.
Un mot sur l’Inde, à défaut que je puisse vous faire un compte rendu détaillé de la sortie en cours (Gaby, retourne-toi, ralentis ; Marco, mutualise tes efforts) : un pays fascinant, coloré, bruyant, contrasté … pour moi, qui n’avais jamais voyagé dans cette région du monde, un univers totalement différent du nôtre, où il faut laisser de côté ses jugements et ses repères. On observe, on essaie de comprendre, mais on bute sur bien des énigmes. Comme l’on se déplaçait presque chaque jour en autocar, j’ai découvert le grand délire qu’est là-bas la circulation : avec dépassements sans visibilité, véhicules à contre-sens (sur des 2×2 voies), ou arrêtés en pleine chaussée, piétons traversant n’importe où, dromadaires attelés, vaches en grand nombre (même sur les autoroutes), motos à passagers multiples (une famille de 5 membres aperçue le dernier jour) ; tracteurs, camions, tricycles, tous véhicules plus que surchargés, aucune règle de priorité, mais un art consommé de la confrontation et de l’esquive : je klaxonne, je m’impose, je frôle, et le plus souvent ça passe… Renseignements pris, l’Inde compte tout de même 130 000 à 140 000 victimes de la circulation lors de chacune de ces dernières années, les piétons et les deux-roues en représentant une bonne moitié.
La société indienne pourrait bien être à l’image de la circulation (en campagne comme à la ville) : un apparent chaos et des règles cachées qui organisent la vie quotidienne, des règles complexes, souvent fondées sur les traditions, et qui permettent que tout cela tienne mais au prix d’inégalités criantes et d’affrontements feutrés. Mais je n’ai pas une seule fois vu, dans les rues ou sur les routes, quelqu’un s’en prendre à quelqu’un d’autre, là où chez nous les injures et les coups auraient jailli à jets continus. Chacun joue le jeu qu’il sait devoir jouer. Y compris parfois celui de la malheureuse victime.
Vous l’aurez compris, faire du vélo en Inde relève d’un exercice on ne peut plus périlleux (outre que les routes de campagne peuvent être défoncées et très sinueuses). Sachez pourtant que posséder un vélo, à défaut d’une moto ou d’une voiture (réservées aux classes aisées), révèle qu’on ne fait pas partie des plus pauvres ; et que pour favoriser l’alphabétisation des filles (encore très discriminées par rapport aux garçons), certains Etats les récompensent d’une bicyclette si elles persévèrent à l’école pendant plusieurs années.
Le vélo ou le tricycle demeurent là-bas utilitaires. Ils ont en commun de ne pas être dotés de dérailleurs. Quand il s’agit de transporter de lourdes charges (marchandises ou passagers), un enfer, on marche à côté de la bécane. Si vous connaissez un jeune homme (ou une jeune fille) très dynamique et qui rêve de créer son entreprise, voici une idée en or : introduire en Inde le dérailleur, ne serait-ce qu’un petit dérailleur trois vitesses ! Bien des peines en seraient soulagées.
Je n’ai rien dit de la grande gentillesse de ceux que nous avons croisés ou rencontrés, ni de la beauté des temples, des palais, des anciens forts… Ce sera pour une autre fois, j’ai déjà été anormalement long pour une petite chronique du dimanche.
Tiens, c’est pour vous l’heure de la pause : vous allez vous séparer en deux groupes, les costauds et les contemplatifs ? Bonne fin de balade, heureux pédaleurs (munis de dérailleurs 30 vitesses et d’engins ultra-légers).
A dimanche prochain, je l’espère, si j’ai trouvé le sorcier du dos qui fait des miracles,
Reynald