Je me souviens, c’était un jour d’élections régionales, la confusion régnait. Dans les villages traversés, des électeurs de gauche s’apprêtaient à sauver des politiciens de droite, tandis que des ni-gauche-ni-droite pensaient sauver la patrie à coup d’expulsions et de barbelés. Et cela, au moment où d’autres s’avisaient enfin que ce qu’il s’agissait de sauver, c’était la planète elle-même… Le monde était devenu mondial, et l’on pataugeait dans les régions.
Je me souviens que ce jour-là les dix-huit cyclistes de sortie n’avaient pas dépassé les frontières du département, mais qu’ils songeaient déjà aux aventures promises par la nouvelle grande région : passer la barrière des Vosges, descendre dans la plaine d’Alsace, il leur était arrivé de s’y risquer ; mais escalader la Montagne de Reims ou les monts des Ardennes et de l’Argonne, peu en avaient l’expérience. Depuis lors, ils ont multiplié les escapades lointaines, ils ont rivalisé sur le défi Reims-Strasbourg, ils ont inventé la diagonale Charleville-Mulhouse, ils ont parcouru, étape par étape, le Tour du Grand Est. Il fallait bien que la grande région servît à quelque chose.
Je me souviens qu’en ce jour lointain du 13 décembre 2015, le réchauffement de la planète était déjà sensible : le temps était doux, le soleil brillait, l’hiver se faisait discret. A l’évidence, le climat était de plus en plus tempéré. On ne boudait pas son plaisir, mais on savait que le retour du froid en cette saison serait le signe que la catastrophe avait été évitée.
Ce matin, en cette fin décembre 2035, le thermomètre affiche – 10 °.
Je me souviens encore que lors de cette mémorable sortie des Régionales et de la Cop 21, j’avais pu profiter à plein de la beauté des paysages, roulant calmement à l’arrière, après la pause de Serres, avec le Batracien et l’Arracheur de dents. C’est depuis cette date que je suis passé définitivement au vélo contemplatif. Et je m’en porte bien (assistance électrique aidant, je parviens même à suivre mon petit-fils dans les côtes).