• Vélos et corbeaux (28 janvier)

Temps glauque, poisseux, pisseux, brumeux. Et pourtant, rien n’arrête le pédaleur : au RV une bonne quinzaine de licenciés, plus une délégation des habitués de la Porte Désilles, qui nous aiment tant qu’ils ne nous quitteront pas d’une pédale. Un gros peloton, donc, jusqu’à la pause, avant que ne s’opère la séparation entre les forcenés et les estivants.
Les sorties de janvier auront fait recette : 17 présents en moyenne (sans compter les dés-insulaires de la Porte). Ce n’est qu’un début, avec le retour des beaux jours, reviendront aussi les marmottes frileuses, les maniaques de l’hibernation, les confinés des salles de sport, les satyres des saunas… Allez, revenez, les accrocs du RPM, Nono Musclor et autres nababs des bains bouillonnants, arrêtez le surplace, pédalez pour quelque chose : pour avancer, que diable ! Promis, nous serons indulgents avec vous, nous savons bien que le grand air risque de vous étourdir.
Les faits du jour : la Moselle très haute et toute boueuse, un cinglé de la bagnole qui nous a frôlés (une fois de plus), pas de crevaison malgré des conditions très favorables, des projections à jet continu dispensées par les réfractaires du garde-boue, et une pause remarquable chez nos amis de Tremblecourt. Je ne parle pas de la mise à disposition des containers pour qu’on évite de jeter dans l’herbe les emballages de nos barres de céréales. Non, je parle de l’accueil en fanfare que nous font rituellement les corbeaux. Depuis des années la scène se répète : ils sont là, dans les arbres (il faut dire qu’ils sont devenus rares, les arbres au bord des routes, on les a éliminés, ces salopards qui se jetaient sur les voitures)… Ils sont là, toujours, innombrables et croassants, « les chers corbeaux délicieux »…
C’est Rimbaud qui parle ainsi, dans un poème (intitulé  « Les Corbeaux ») qui a été mis en musique. Vous l’avez peut-être appris à l’école, ou entendu. Voici ce qu’il écrivait, ce môme de 17 ans, en 1871 (et il fait allusion à la défaite que la Prusse vient d’infliger à la France, annexant l’Alsace et une partie de la Lorraine, qui resteront allemandes jusqu’à la « revanche » de 1918) – je ne cite que quelques vers :
Armée étrange aux cris sévères
Les vents froids attaquent vos nids !
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et sur les trous,
Dispersez-vous, ralliez-vous !
 
Par milliers sur les champs de France 
Où dorment des morts d’avant-hier,
Tournoyez, n’est-ce pas l’hiver,
Pour que chaque passant repense !
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !
Ainsi, à l’avenir, quand vous prendrez la route qui relie Manoncourt à Tremblecourt et que vous serez salués par le cri des corbeaux, vous pourrez vous réciter du Rimbaud.
Qu’on se le dise, ce n’est pas pas parce qu’on est des pédalos qu’on doit nous prendre pour des bourricots !
A bientôt, pour la première sortie de février.
Reynald