• Un peu de tenue ! (13 novembre)

Halte au massacre de la langue française ! Faisons taire l’odieux usurpateur qui s’était indûment emparé de cette chronique ! Finissons-en avec ce style relâché, argotique, effroyablement populaire qui vous a été infligé ! Un peu de tenue, que diable, redonnons à notre belle langue ses lettres de noblesse…

Les preux chevaliers de la bicyclette se sont pressés en foule au rendez-vous dominical. Ce n’est pas que les prévisions météorologiques fussent mirobolantes, de malséantes averses pouvaient même survenir, mais comme certains membres de la confrérie s’étaient abstenus lors des excursions précédentes par crainte de subir un désagrément par trop humide, ces derniers avaient choisi ce matin de donner la préférence à la voix de la passion sportive plutôt qu’à celle de la peureuse raison. Le risque qu’ils prirent n’était pas chimérique puisque sur le chemin du retour une averse assez drue les surprit. Ils en furent quittes pour un refroidissement passager qui ne devrait pas entraîner de funestes conséquences pour leur précieuse santé.

Ils furent donc nombreux à s’élancer sur les routes alors sèches de la campagne lorraine, dix-sept coursiers flamboyants aux tuniques multicolores, puis pas moins de vingt une fois rattrapée l’avant-garde de l’escouade, et même vingt-et-un quand le sieur Lhoner, victime d’une confusion initiale (il se raconte qu’il est coutumier du fait), en eut terminé avec son errance solitaire. La cohorte pédalante était donc de belle taille, l’humeur était joyeuse, l’entente régnait entre les vénérables anciens et les jeunes impétrants, les plus véloces réfrénant leurs ardeurs, les plus fragiles prenant abri derrière les plus énergiques. Une leçon d’harmonie et de cordialité. Il faudrait ajouter une leçon de tolérance, à en juger par la liberté concédée à chacun de contribuer, en fin de randonnée, à l’éparpillement général. Pour cette fringante communauté, la cohésion durable est un impératif et la dispersion finale une récompense.

Selon l’étrange et antique rituel qui est le leur, ce fut à proximité d’un vieux cimetière qu’ils se restaurèrent d’abondance : nul doute qu’ils témoignent ainsi de l’attachement qu’ils vouent à leur terroir et à ceux qui les y précédèrent, en même temps qu’ils se préparent avec philosophie à l’échéance que nul n’élude. Ces hommes tout en muscles ont aussi une âme. En un temps où bien des valeurs sont foulées au pied, c’est là le constat rassurant dont ils offrent l’inestimable exemple. Mon illustre confrère, le regretté Maurice Barrès, qui fut le héraut de la terre lorraine en même temps qu’un pionnier du vélocipède, eût trouvé en ces hommes de haute vertu le motif d’un profond réconfort.

Le chroniqueur ne peut que se réjouir chaque jour davantage d’appartenir à une telle confrérie : c’est pour lui rendre hommage qu’il s’est fait un devoir de l’évoquer en des termes qui fassent honneur à la langue française, le plus cher trésor de notre commun patrimoine.
Reynald
PS : l’AG approche, les élections aussi : ne manquent plus que vos candidatures.