• Deux leçons (20 novembre)

Temps doux et ensoleillé. La menace du jour ce n’est pas la pluie, c’est le vent. Dès les premiers kilomètres, ils sont dans le vif du sujet, ceux qui se sont pas laissés impressionner par cette menace et qui ont enfourché leur machine (il y en aura en tout une quinzaine). Pour souffler, ça souffle ! Il va donc falloir compter avec le Grand Soufflant, le fameux mistral lorrain, qui risque bien d’éparpiller les pédaleurs, tant il sera difficile, et imprudent, de « rester dans les roues ».

Mais ce que le vent ne réussit pas à faire immédiatement, Maître Marcel s’en charge avec maestria. Sur les hauteurs de Ludres, une crevaison l’arrête : il se lance alors dans un mémorable atelier « réparation ». Une première fois, il répare, vite fait bien fait. Il remonte en selle, Marcel, et aussitôt s’arrête. C’est qu’il vient de crever derechef, le chef Marcel. Pas du genre à se dégonfler pour si peu, le voici qui de nouveau répare et regonfle, vite fait bien fait. A peine remis en selle, le voici qui remet ça, une troisième fois le voici à plat… C’est pourtant pas l’air qui manque alentour, mais, comme dit l’Evangile, « le vent souffle où il veut », et dans la chambre de Marcel il ne veut pas entrer, ou du moins pas rester. A chaque fois, il ne fait que passer. Bref, notre mécano de plein vent, abandonné des Dieux, doit jeter l’éponge. Il lui faudra monter dans la voiture-balai, avec la complaisance de Dame Monique, son épouse, venue secourir l’infortuné.

Un proverbe allemand dit : Einmal ist keinmal, une fois c’est aucune fois : c’est-à-dire qu’une fois ça ne compte pas, ça n’a pas de valeur, qu’il faut pouvoir revivre ce qu’on a vécu pour bien l’apprécier. Crever une fois, la belle affaire ; deux fois, c’est déjà mieux ; trois fois, ça devient vraiment sérieux. Merci maître Marcel, nous retiendrons la leçon.

Et pendant ce temps-là, me direz-vous ? C’est bien simple, comme le vent souffle très fort dans le dos quand on remonte la côte qu’on vient de descendre (et au sommet de laquelle Marcel bricole), une première fois on se fait un plaisir de la remonter, une deuxième fois on y prend goût, mais la troisième fois, il y a ceux qui se refont cette jouissive grimpette (ils sont sept) et ceux qui décident de prendre un peu d’avance (ils sont trois, puis quatre, une fois rattrapé l’homme des marchés de Noël – oui, il adore ça, Nono, les marchés qui portent son nom). Quant à Maître Pierre et Maître Gégé, c’est dès après la première descente de Ludres qu’ils avaient pris les devants. Jamais nous ne les revîmes. En revanche, c’est sur les hauteurs d’Azelot que tous les autres se regroupèrent. Et comme Marcel n’en était plus, tous ensemble ils demeurèrent. Ni nouvelle crevaison, ni coup de vent fatal.

Mais tout de même, on a bien cru parfois verser au fossé ou s’emplâtrer dans ce qui venait en face, tant les rafales latérales nous secouaient. Celles qui venaient pleine face, il fallait se les manger, mais elles étaient plus franches. Sur le plateau de Frolois, Franck a même préféré mettre pied à terre, et je lui donne raison, vu que je suis allé plusieurs fois rouler à l’anglaise, et qu’il y a un automobiliste au moins qui n’a pas aimé du tout, si j’en crois la façon qu’il a eu de me klaxonner dans les bronches. En revanche, le faux-plat descendant avec violent vent arrière entre Manoncourt et Saint-Nicolas, c’est plus vite qu’une descente de col qu’on l’a avalé (Gaby dit avoir atteint les 77 km/h, c’est vous dire). « Le vent électrique », qu’il a appelé ça, notre marchand de Noël. Le genre de vent qu’il ne faudrait avoir que dans le dos. Et pas seulement une fois, tant il est vrai que einmal ist keinmal : c’est la deuxième leçon du jour. Je sens que vous allez tous la préférer à la première.