• Allégories (4 novembre)

Le rendez-vous de la Porte Désilles fait recette : un gros paquet de licenciés du club + une bande bien fournie d’habitués du lieu le dimanche matin. Pas pu compter, mais à vue de nez pas moins de trente pédaleurs. Malgré le froid et la brume.
La brume, parlons-en : elle a été l’actrice principale de la sortie.
D’abord, rien de mieux pour effilocher un aussi gros peloton, chacun n’apercevant que ses plus proches voisins. On se sera beaucoup perdu de vue, souvent regroupé, et derechef perdu de vue, et ainsi de suite. Avec la meilleure volonté du monde, pas moyen d’embrasser du regard tous les petits groupes dispersés. Ni de savoir si tout le monde est demeuré sur le parcours, que tous ne connaissaient pas à l’avance (qu’attendent-ils pour prendre une licence ?). Reste à souhaiter que personne n’a galéré seul.
Première allégorie : nous avons pédalé dans le brouillard, sans rien voir des paysages traversés, et réduits à les imaginer. Nous avons donc fait travailler notre imagination et notre mémoire, en élaborant des images de ce qui sans cesse se dérobait. C’est exactement ce qui se passe quand on lit un roman : faute de les voir, les lieux et les personnages évoqués, on s’en fabrique des images. Et chacun se construit son propre film. Pédaler dans la brume, c’est donc comme lire un livre non illustré. La brume est un écran qui masque le monde mais aussi un écran sur lequel nous projetons nos rêves et nos désirs. Et dans les deux cas, il y en a qui lisent vite et d’autres qui lisent plus lentement. Mais le plaisir n’est pas très différent. Vive la lecture, vive l’imagination !
Deuxième allégorie : nous avons pédalé à l’aveugle, sans certitudes, et attendant en vain la lumière. On a cru un instant que le soleil allait percer : illusion ! Le brouillard n’a pas cédé, il était notre lot. Mais dans la vie, est-ce qu’il en va différemment ? On raisonne, on réfléchit, on se forge des idées, auxquelles on tient. Pour un peu, on aurait l’impression de détenir enfin la vérité. Et puis … le bel édifice s’écroule, on doit admettre qu’on s’était trompé, que ce n’est peut-être pas si simple, que nos vérités sont très relatives. Ou qu’elles ne valent pas mieux que celles du voisin. Alors, il faut tout reconsidérer, réfléchir plus avant, pour sortir du brouillard. Du moins, pour espérer sortir un jour du brouillard. Y voir enfin plus clair. Vivre c’est pédaler dans la brume. Avec de petites lumières clignotantes.